Introduction
Suite au weekend Pascal, je me suis posé la question de l’origine des œufs de Pâques au regard du Décret n°2016-1137 du 19 août 2016.
Est-il donc obligatoire d’indiquer l’origine du lait utilisé pour le chocolat des œufs ? En se reportant à l’annexe II de ce texte, on remarque que le lait additionné de cacao est concerné par cette obligation. Y a t il donc eu des œufs de Pâques avec du lait d’origine française ?
Je n’ai pas vraiment cherché et c’est par cette réflexion incongrue que je reviens sur ce texte qui a été débattu le 2 mars dernier au Salon de l’Agriculture (je remercie une nouvelle fois Me Julia Bombardier du Cabinet JEANTET à ce sujet). Traçabilité oblige, voici quelques photos qui prouvent l’existence de cet événement et un lien vers un article de la Revue de Droit Rural qui présente une réflexion conjointe à ce sujet entre Me Julia BOMBARDIER et moi même (http://www.viruega.com/wp-content/uploads/2017/03/revue-droit-rural-450.pdf ).
Le décret français : entre nouveauté et continuité
Sans replonger dans le grand et complexe débat au sujet de l’origine, j’essaye seulement de fournir ici des éléments qui montrent que ce texte est à la fois nouveau et la résultante d’approches plus anciennes.
La nouveauté principale à mon avis est que ce texte soit français dans un paysage réglementaire européen et qu’il soit expérimental, c’est à dire valable seulement jusqu’au 31 décembre 2018. Pour autant, au regard de la marque VBF initiée en 1996, des textes européens des années 2000, à savoir les règlements CE1760/2000 et CE 1825/2000, des règlements plus récents CE 1169/2011 et CE 1337/2013, de la marque OFG (Origine France Garantie créée en 2010) et de la démarche américaine COOL (Country Of Origin Labelling), ce texte ne fait que prolonger le besoin de connaître l’origine des denrées alimentaires d’autres produits plus transformés à base de viande et d’étendre cette exigence de la viande au lait.
Ce besoin est d’autant plus confirmé avec les dernières études de consommation qui annoncent que l’origine est une caractéristique de confiance demandée par les consommateurs. Le fait que cette mention apparaît sur le devant des emballages et dans les publicités montre bien que c’est devenu un enjeu commercial important.
Donc, est ce un texte pertinent ? Au vu des réactions d’autres pays tels que l’Italie et des campagnes publicitaires, il semble que oui, mais suite au séminaire du 2 mars et au vu des réactions des associations des consommateurs, le résultat semble mitigé. Pour avancer ici, il convient de revenir à l’objectif de ce texte qui est de lutter contre le risque de fraude. Vis à vis de cet objectif, l’aspect obligatoire est cohérent et il n’y a qu’à voir les interventions des agriculteurs et viticulteurs à ce sujet en grande surface qui confirment l’impact de ce texte. Mais, ces interventions sont aussi militantes, à savoir dans une logique de défendre les produits issus de l’agriculture française. Dès lors, le besoin de connaître l’origine des denrées alimentaires s’inscrit dans une démarche d’acte d’achat citoyen. C’est pour cela qu’il y a avait un risque que ce texte soit rejeté par l’UE car il pouvait être vu comme un protectionnisme déguisé dans un contexte de libre circulation des marchandises.
Mais, du point de vue technique et industriel, ce texte est moins pertinent, car d’une part il remet en cause les équilibres des échanges entre les pays et risque de provoquer des tensions sur certaines matières premières et d’autre part, cette nouvelle mention qui au départ est censée lutter contre la fraude alimentaire génère un nouveau risque de fraude. De plus, l’aspect sanitaire renforcé par l’origine est un amalgame assez malsain, car les obligations de sécurité sanitaires sont européennes ! Comme pour la marque VBF, est ce à dire qu’un lait d’origine française est de meilleure qualité sanitaire qu’un lait d’un autre pays européen ?
La réponse à cette question est délicate et je préfère laisser le lecteur se faire sa propre opinion, tout en remarquant qu’encore une fois, sécurité sanitaire et fraude sont des sujets qui sont associés, ce qui se confirme par le texte de révision du règlement CE 882/2004 qui a été adopté par le parlement européen le 15 mars dernier.
Une nouvelle forme de traçabilité
Toujours est il que pour appliquer ce texte, aucune structure ne pourra s’affranchir de démontrer lors d’un contrôle la véracité de son étiquetage. Comment faire ? un autre paradoxe de ce texte est que dans sa version provisoire du 11 mars 2016, l’article 7 comportait une exigence explicite de traçabilité avec la notion de lot entrant et de lot sortant. Or, dans la version définitive, les termes traçabilité et lot avaient disparu ! Pour autant, c’est bien par un système de traçabilité qu’il sera possible d’assurer l’indication de la bonne origine et c’est donc ce système de traçabilité qui va être examiné lors d’un contrôle. Comment ce contrôle sera effectué ? Comment contrôler ses fournisseurs ? Il n’y a pour l’instant rien d’écrit officiellement, mais en attendant, il est intéressant de remarquer qu’il est question ici de traçabilité positive (cf. mon article de juin 2010 dans le traité traçabilité des Techniques de l’Ingénieur : « La traçabilité dans l’environnement et le développement durable »), à savoir de traçabilité de l’origine (cf. mon article de novembre 1999 avec Michel VERNET « Le nouvel usage de la traçabilité dans le secteur français de la viande bovine « , Revue française de gestion industrielle, vol 18 (4)) , i.e. non plus pour réagir en cas d’alerte sanitaire, mais pour pouvoir indiquer systématiquement l’origine du lait et de la viande en tant qu’ingrédient selon les règles définies part le décret et selon les seuils définis par l’Arrêté du 28 septembre 2016.
De quoi s’agit il ? A mon avis d’une nouvelle forme de traçabilité, qui se base sur le système existant (autrement dit la notion de lot) pour justifier l’indication de la mention d’origine sur un produit. Ce nouveau système va modifier les modes de production et les flux dans les chaînes d’approvisionnement, voire même les recettes comme je l’ai déjà écrit dans l’article de la revue de droit rural.
J’insiste alors sur la notion de contrôle, avant toute démarche de certification et d’audit, car c’est à mon avis ce qui reste à développer aujourd’hui et j’espère que le nouveau texte qui révise le règlement CE 882/2004 va amener des éléments à ce sujet.
Conclusion : vers une traçabilité au service de l’éthique
On se retrouve donc aujourd’hui dans un registre d’utilisation d’un système de traçabilité plus positif que pour la sécurité sanitaire et au delà de l’origine, la tendance avec la technologie de blockchain notamment est de fournir au consommateur des informations concernant l’éthique du produit (on pourrait aussi parler de RSE et de Développement Durable), c’est à dire, le respect de l’environnement, du personnel et des matières premières (ce qui peut aller jusqu’au bien être animal et l’absence d’utilisation d’antibiotiques par exemple). Ce nouvel usage pourrait peut être conduire à la précision de ce qu’est un lot, voire même comme dans les produits de santé à une traçabilité par un identifiant unique par produit (on parle de Track & Trace ou de sérialisation). Je pense que, dans tous les cas, la notion de procédure de traçabilité va devenir de plus en plus déterminante avec peut être des éléments indispensables, voire des standards.
Enfin, au delà des produits alimentaires, je remarque cette notion d’origine est aussi d’actualité que ce soit au niveau des données personnelles et de l’identité numérique, mais aussi dans le domaine de l’énergie « verte » ou encore des « fakes news », ce qui montre une fois de plus que « nous sommes ce que nous mangeons« .